Le musée d’Art Moderne de Paris propose de découvrir jusqu’au 10 janvier 2021 l’oeuvre de Victor Brauner (1903-1966) au travers de son exposition : “Je suis le rêve. Je suis l’inspiration.”. Ces mots de l’artiste employés dans une lettre qu’il écrivit à André Breton témoignent de l’importance du monde imaginaire et créatif de l’artiste. Cette retrospective est d’autant plus importante que la dernière date de 1972. Le parcours chronologique que le MAM propose nous permet de traverser dans de vastes salles l’histoire de l’artiste. Revivez la poésie surréaliste de l’artiste, de ses années roumaines, à sa rencontre avec l’avant-garde, à la perte de son oeil gauche, pour finir par l’épreuve de la Seconde Guerre Mondiale ou encore pour sa fascination pour la magie…
L’élaboration du style : la modernité roumaine (1920-1925)
L’exposition du MAM Paris sur Victor Brauner rassemble un nombre considérable des oeuvres de l’artiste. Des dessins préparatoires aux toiles ainsi qu’aux sculptures, la profusion créative de l’artiste est plus qu’impressionnante.
La visite commence par la jeunesse de l’artiste d’origine roumaine, il naît en 1903 à Piatra Neamt (Moldavie). Dans une vidéo d’archives de l’INA à la fin de l’exposition, Victor Brauner explique que vers 13 ou 14 ans il a décidé de ne plus aller à l’école pour ne faire que dessiner. Il finit par rentrer à l’École des Beaux-Arts de Bucarest. Il n’y resta que trois années car fut renvoyé pour anticonformisme et jugé sans talent. Ses différentes rencontres et influences, tels Cézanne ou le poète Ilarie Voronca, l’amènent à expérimenter différents styles, des paysages à la stylisation des formes du cubisme, à l’expressionnisme et même au constructivisme.
L’aventure surréaliste de Victor Brauner (1925-1939)
Au cours de sa carrière, Brauner se rendit plusieurs fois à Paris. En 1931, il s’installe près de l’atelier d’Alberto Giacometti et rencontra de nombreuses personnalités dont André Breton. D’abord influencé par un groupe surréaliste roumain via la revue Unu, à laquelle l’artiste collabore, son style évolue ensuite. Loin également de ses essais constructivistes précédents, les dessins et peintures de l’artiste évoluent vers un univers plus fantastique et prophétique. C’est finalement à partir des années 1933 qu’il rentre complètement dans l’aventure surréaliste, influencé par les oeuvres de Giorgio de Chirico et de Salvador Dali.
Il restera définitivement en France à partir de 1938, poursuivi par l’antisémitisme et le fascisme menaçant en Roumanie. Ses oeuvres sont peuplées de chimères et de créatures inquiétantes voire grotesques à l’image de Monsieur K. figurant un dictateur et rappelant le personnage d’Ubu roi.
C’est aussi dans cette période, et plus précisément en 1938, que Victor Brauner perd malheureusement son oeil gauche après s’être interposé dans une bagarre. Un évènement qui le bouleversa profondément, lui qui avait “préfiguré” l’évènement au travers de tableaux où les yeux étaient par exemple transpercés de cornes. Il entame alors toute une série de “chimères”.
Des innovations artistiques durant la guerre
Étant juif et étranger à la France, Victor Brauner se retrouve menacé par l’antisémitisme ambiant dans les années 40. Comme beaucoup d’autres il tenta de fuir aux États-Unis en partant de Marseille mais il n’obtint jamais de visa. Condamnée à rester sur place, il se réfugie dans les Hautes-Alpes durant trois ans où il continuera de créer. Il invente alors le “dessin à la bougie” en utilisant de la cire dans ses oeuvres. Inspiré par de nombreuses sources telles que la kabbale, la littérature romantique allemande, l’alchimie et les arts primitifs, il invente de nombreuses oeuvres symboliques.
Durant cette période, il inventa également les Congloméros (1941-1945). Ce terme est issu de la contraction du mot “conglomérat” avec le nom “Éros”. Ces sculptures mettent en scène un corps de femme entouré de deux corps d’hommes ou bien d’une femme et d’un animal ou encore d’une femme et d’un végétal. Des êtres hybrides et inquiétants qui sont nés lors de l’isolement de l’artiste pendant la guerre.
L’après-guerre et la fin de la carrière de l’artiste (1946-1966)
À partir de 1945 Victor Brauner revient s’installer à Paris dans l’ancien atelier du Douanier Rousseau. Une rencontre qui lui inspira un tableau tout particulier à l’ambiance mêlant leurs univers respectifs (La rencontre du 2 bis, rue Perrel, 1946).
Marqué par l’expérience de la guerre, son art s’en est tout de même trouvé enrichi. Malheureusement il est exclu du groupe des surréalistes en 1948, après avoir pris la défense de son ami Roberto Matta. Brauner poursuivit son chemin et créa de nouvelles toiles influencé par l’art brut, la magie et le symbolisme. L’une des toiles présentée est d’ailleurs inspirée de Fleury-Joseph Crépin, un artiste présent à l’exposition récente du musée Maillol, Esprit es-tu là ?.
Une dernière oeuvre présentée dans la fin de la carrière de l’artiste a particulièrement retenu mon attention, à la fois inquiétante et hypnotique, elle renvoie à la solitude et à un profond questionnement métaphysique face au néant.
La visite se termine sur ce qui est considéré comme le “testament artistique” de Brauner. Les tableaux sont enchassés dans des cadres peints et découpés aux formes d’un bestiaire inventé par l’artiste. Une oeuvre globale d’une très grande richesse, tant d’un point de vue formel que d’un point de vue symbolique. Je vous conseille de voir absolument l’exposition sur Victor Brauner du MAM Paris !