D’où provient le terme d’architecture “gothique” ? Est-ce un choix arbitraire ou revêt-il une intention et un sens particulier ? La définition de la chronologie et de la distinction entre les différentes périodes de construction au Moyen Age sont le fruit d’un long processus de différenciation. L’érudition en France aux XVIIe et XVIIIe siècle n’est pas au niveau de celles de l’Angleterre ou de l’Allemagne. Elles élaboraient déjà de nombreuses hypothèses sur les différentes phases médiévales et sur les origines de l’architecture. Au XIXe siècle en France, plusieurs facteurs font que les recherches prennent un élan plus important. Des hommes tels que Gerville, Arcisse de Caumont, Vitet, Mérimée et Quicherat parviennent à définir, à force de polémique, la désignation de la dernière période de construction du Moyen Age.
Le souci du détail : Gerville et Arcisse de Caumont
Gerville et Arcisse de Caumont n’établirent pas seulement la chronologie mais définissent (Gerville) et diffusent (Arcisse de Caumont) les termes de “roman” et “ogival”.
Charle de Gerville (1769-1818) observa empiriquement les monuments médiévaux qui l’entouraient en Normandie. À partir de là, il établit la chronologie du Moyen Age telle qu’il la voyait : d’abord l’architecture romane, puis l’architecture de transition, enfin l’architecture ogivale.
Afin d’établir cette chronologie, il s’est basé sur les caractéristiques formelles de chaque édifice. Il s’est donc livré à une étude minutieuse de ces derniers.
Arcisse de Caumont (1801-1873), inspiré par Gerville, poussa ses travaux et ses réflexions dans l’étude des caractéristiques formelles. Il élabora des catalogues de formes inspirés par la rigueur des sciences de la nature, comme la botanique par exemple.
Ces deux hommes sont critiqués par la suite par leur contemporains à cause de leur attachement aux détails architecturaux plutôt que de privilégier une vision d’ensemble des édifices.
Quand chronologie rime avec Histoire : Vitet et Mérimée
Ludovic Vitet (1802-1873) et Prosper Mérimée (1803-1870) sont deux hommes du XIXe siècle. Une époque romantique où règne un certain goût pour le Moyen Age. Des auteurs tels que Chateaubriand, Le génie du christianisme, 1802 ou Victor Hugo, Le temps des Cathédrales, 1831, ont sensibilisé le public à cette période. Vitet et Mérimée opèrent dans le contexte post-monarchie de juillet (1830) où l’étude des origines de la Nation est au premier plan.
Ils connaissent l’un comme l’autre l’importance que peut revêtir un monument grâce à l’étude de sa portée historique. Protecteurs des Monuments Historiques (en particulier Mérimée, ancien inspecteur général), ces hommes veulent prouver que chaque oeuvre s’inscrit dans son histoire, éclairant par la même l’histoire contemporaine des hommes. En celà ils s’opposent à la vision de Gerville et Arcisse de Caumont. En effet, Vitet et Mérimée souhaitent étudier le monument pour ce qu’il est. C’est-à-dire le situer dans son contexte et non le disséquer morceau par morceau pour ses caractéristiques formelles.
Pour ses études Ludovic Vitet, dont le rôle a souvent été mésestimé, a pu s’inspirer notamment de Sulpiz Boisserée (1783-1853). Cet historien de l’art allemand préféra le terme de “byzantin” pour définir l’architecture romane. Elle serait, en effet, le résultat de vagues d’invasions byzantines successives combinée à une dégénérescence de l’architecture romaine et à un apport oriental des Croisés. Il propose donc ici une définition de l’architecture par l’histoire.
En effet, Mérimée s’appuie sur la notion d’époque unique et d’art unique concernant la période dans laquelle il évolue. Comme Winckelmann en 1763 lorsqu’il évoque la culture grecque ou comme Herder en 1774 avec son concept du “Volksgeist“. De là, il établit une théorie concernant cette notion de cycle. Mérimée propose également une chronologie de l’architecture médiévale mais il refuse le terme “ogival” de Gerville. Pour lui il correspond à un élément d’architecture et non à une donnée historique ou objective.
Quicherat, le scientifique
Jules Quicherat (1814-1882) est un historien de l’art, scientifique et archéologue qui écrivit pour la Revue Archéologique. Il y publia un article intitulé “De l’ogive et de l’architecture ogivale”, t. VII, 1850, p. 65-76. Dans cet article, à l’instar de Mérimée, Quicherat est contre l’utilisation du terme “ogival” utilisé par Gerville et Arcisse de Caumont, pour définir une période de construction. Le fait de choisir le nom d’un élément architectural n’est pas assez rigoureux et trop réducteur en soi. Il préfère le terme de “gothique”, usité auparavant qui lui semble plus représentatif et plus neutre que le terme “ogival”.
La préférence du terme d’architecture “gothique” au lieu de “ogivale” se justifie par le besoin de voir l’édifice dans son ensemble et non pierre par pierre. L’importance du contexte historique et de la portée historique de chaque édifice sont importants. La rigueur scientifique l’est également, comme le montre Quicherat. Il permit à l’architecture gothique d’être correctement définie et d’être considérée comme une période à part entière. Il défendit également la période dite “romane”…