Après un tour d’horizon sur l’art de l’enluminure du XIVe siècle ainsi que sur l’importance du Roman de la Rose dans la littérature médiévale, il apparaît plus aisé de proposer une datation plus précise du H246.
Pour les personnes curieuses : voici le lien direct vers le facsimilé du manuscrit proposé par la Bibliothèque Interuniversitaire de Montpellier. Vous pourrez ainsi parcourir le manuscrit numérisé et en avoir un aperçu global.
Un manuscrit du tout début du XIVe siècle
La mise en page
Il est certain que cet ouvrage appartient à la première moitié du XIVe siècle. En effet, depuis la seconde moitié du XIIIe siècle, les miniatures des manuscrits en langue vernaculaire s’insèrent dans le texte sur la largeur d’une colonne. Par contre, la présentation du texte sur deux colonnes reste l’apanage du XIVe siècle (comme nous pouvons l’observer dans le H246).
Le style du H246
Ce manuscrit apparait comme le prolongement d’une manière de faire issue de la seconde moitié du XIIIe siècle. Nul doute que l’atelier d’où il provient connaissait les formes utilisées, soit pour les avoir apprises, soit pour les avoir copiées afin de produire les 75 enluminures de ce livre. Il était courant à l’époque médiévale d’employer des calques ou de se servir à loisir de modèles issus d’autres enlumineurs. Si les livres religieux avaient déjà à leur actif une longue tradition iconographique, il n’en est pas de même pour les romans écrits en langue vernaculaire. Ils ont été illustrés pour la plupart pour la première fois durant cette période où de nombreux modèles ont été élaborés afin d’être copiés largement ensuite. L’idée était de pouvoir répondre à la demande croissante d’ouvrages.
Le style employé par l’artiste du H 246 rappelle celui décrit par François Avril concernant la fin du XIIIe siècle. Il souligne, le caractère « graphique » et « linéaire » d’un dessin qui paraît « colorié ». Toutefois, l’étude de la couleur a montré que l’enlumineur a usé de diverses nuances et dégradés, lesquels s’apparentent davantage au premier tiers du XIVe siècle. Étant daté du deuxième quart du XIVe siècle depuis l’analyse d’Ernest Langlois, le style du H 246 pourrait paraître un peu en retard sur son temps. Toutefois, si Pucelle et ses innovations multiples ont déjà fait irruption sur la scène de l’enluminure française en 1320, c’est seulement dans quelques manuscrits précieux. Il faut plus de temps pour que l’ensemble des enlumineurs n’adoptent ce nouveau style dans leur production.
Une datation du H246 plus précise…
L’attitude des femmes, dessinée dans la Somme le roi (Paris, Bibl. Mazarine 870, 1295, fol. 61v – en bas à d.), leurs gestes courtois et affectés ainsi que leurs tête penchées vers l’avant montrent de grandes similitudes avec le portrait de Haine par exemple (en h. à g.). Ces attitudes étudiées se retrouvent dans le Roman de Fauvel (BnF, ms. fr. 146, 1317, fol. 33) quand le Roi est à table avec Vaine Gloire et ses suivants (en haut à d.). La simplicité des traits, les visages qui restent blancs tandis que les costumes sont colorés avec des couleurs pâles sont des points similaires.
Ces éléments peuvent aussi évoquer les romans de Perceval et le style du maître de Papeleu (BnF, ms. fr. 1453, 1315-1320, fol. 218r – en b. à g.). La mise en scène, les arrière-plans simples, les cadres ainsi que les attitudes des personnages rappellent les grands traits caractéristiques du H 246. C’est également le cas dans un exemplaire du Roman du Lancelot-Graal contemporain du Perceval (Londres, BL Add. 10293, vers 1316, fol. 131) – en bas au c.. L’Ovide moralisé (Rouen, BM, ms. O. 4, 1315-1325) est également très proche stylistiquement – voir en haut au c. le Christ assis.
Toutes ces comparaisons conduisent à rééquilibrer la datation du H 246 plutôt vers la deuxième ou la troisième décennie du XIVe siècle.
À venir, une proposition d’analyse des coiffures et des costumes des protagonistes ainsi que la découverte d’un nouvel atelier d’enlumineurs.