“Esprit es-tu là ? Les peintres et les voix de l’au-delà” – l’exposition étonnante du musée Maillol

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Publié le

16 juillet 2020
Art Contemporain, Expositions, Peinture

Parmi les nombreuses expositions accessibles cet été il en est une particulièrement troublante et atypique à voir au musée Maillol : “Esprit es-tu là ? Les peintres et les voix de l’au-delà”, est un petit bijou d’étonnement que je vous conseille d’aller voir. Sont mis en avant trois peintres originaires du bassin minier du Nord de la France : Augustin Lesage, Fleury Joseph Crépin et Victor Simon. Trois hommes que rien ne prédestinait à l’utilisation du pinceau et à la pratique artistique. Trois hommes “appelés” par des voix de l’au-delà à peindre pour différentes raisons dans des styles très particuliers… Partez à la découverte de l’art spirite de la fin du XIXème siècle jusqu’au milieu du XXème siècle.

Un attrait considérable pour le spiritisme

The Mysterious Planchette, British Manufacture, vers 1930,
carton, papier Bois, roulettes, crayon de bois, Sunateum Bruxelles – ©solskinart

L’exposition du musée Maillol “Esprit es-tu là” débute avec un bref historique du spiritisme afin de mieux situer ce courant et l’importance de son influence sur les artistes présentés. Venu des États-Unis, le spiritualism, ou spiritisme en français, connaît un essor fulgurant en Europe à partir de 1853. Cette pratique est théorisée par le français Allan Kardec dans son ouvrage Le Livre des Esprits en 1857. Des personnalités telles que Camille Flammarion, Arthur Conan Doyle ou encore Victor Hugo l’expérimentent avec intérêt. C’est dire son importance dans la société contemporaine.

Au spiritisme s’ajoutent des disciplines annexes telles que le magnétisme, l’ésotérisme, le somnambulisme ou encore la théosophie. Une époque riche qui mêle des courants de pensées divers.

Le musée Maillol avec “Esprit es-tu là” met en scène des artistes connectés à l’au-delà

Augustin Lesage, le mineur, peintre et magnétiseur (1876-1954)

Augustin Lesage, Sans Titre, Signé Léonard de Vinci, vers 1920-24, Huile s/ toile, 131 x 92 cm, USFIPES Paris – ©solskinart
Les mystères de l’Antique Égypte, 1930, huile s/ toile, LaM, Villeneuve d’Ascq, 143 x 113 cm – ©solskinart

Augustin Lesage naît à Saint-Pierre-les-Auchel, coron anciennement situé près de Béthune (62). C’est naturellement qu’il suit les pas de son père et qu’il devient mineur. Vers 1911, il entend des voix au fond de la mine de Ferfay qui l’invitent à devenir un artiste et à peindre. Des voix amicales qui le guideront tout au long de son processus créatif. Débute alors un changement radical dans la vie du mineur qui s’empare des pinceaux et de la peinture à l’huile. En parallèle il se découvre également un don pour soigner et devient magnétiseur. Sa production artistique colorée est tout simplement impressionnante.

Passionné par l’Égypte, il propose des visuels très personnels incluant des références à cet art millénaire jusqu’à se déclarer la réincarnation d’un peintre de tombeau pharaonique. Il réalisa également certaines oeuvres sous “l’influence” d’entités, se disant inspiré directement par l’entremise de Léonard de Vinci ou de Michel-Ange par exemple.

Augustin Lesage, Nefertiti, 1952, Huile s/ toile, 125,5 x 95 cm,
Coll. LaM, Villeneuve d’Ascq – ©solskinart

Ses toiles créent un réel étonnement, j’ai été impressionnée par la quantité de détails, par la taille des toiles et par la multitude des couleurs utilisées. Une esthétique profondément décorative et résolument inspirée.

Victor Simon, tenancier d’un bar-tabac, auteur, peintre, guérisseur et medium initié aux enseignements de l’au-delà (1903-1976)

Victor Simon, La Toile judéo-chrétienne, 1937, 194,5 x 298 cm, LaM Villeneuve d’Ascq

Dans un autre style, mais tout aussi impressionnant, le cas de Victor Simon, né à Bruay-en-Artois (62). Très jeune, il entendit des voix et se vit en rêve passer des épreuves de rituels initiatiques par des prêtres égyptiens. Profondément spirituel, il étudia la doctrine du Christ et fut toute sa vie lié à des pratiques ésotériques diverses en plus de tenir à côté un bar-tabac jusque 1936. Il devint guérisseur comme Augustin Lesage, lequel parla de Victor Simon comme de son successeur. Il fonda sa propre revue en 1947 appelée “Forces Spirituelles”.

Journal et ouvrages rédigés par Victor Simon avec à dr. deux portraits du Christ – ©solskinart

Ses peintures mêlent douceur et symbolisme, cherchant à représenter le temple idéal. Tant les architectures que les portraits rappellent l’Orient, et plus particulièrement l’art byzantin pour les visages vus de face et hiératiques. Comme Augustin Lesage, il est passionné d’Égypte antique et obéit à une voix qui le guide lorsqu’il peint. Il se voit comme un canal traduisant les messages qu’il reçoit. Ses toiles colorées aux dimensions impressionnantes dégagent une grande force qui invite à une contemplation longue et calme. Il suffit de jeter un oeil à l’oeuvre ci-dessous.

Victor Simon, La Toile Bleue, 1943-44, huile sur toile, 190 x 498 x 5,5 cm,
LaM Villeneuve d’Ascq – © solskinart

De nombreuses autres toiles magnifiques de cet artiste sont à découvrir sur place. À l’instar d’Augustin Lesage, ses toiles sont le syncrétisme de diverses influences offrant au spectateur une esthétique irréelle.

Fleury Joseph Crépin (1875-1948), le plombier-zingueur devenu sauveur du monde

Aperçu des oeuvres de l’artiste

Parmi les trois artistes phares de cette exposition, l’histoire de Fleury Joseph Crépin n’a rien à envier aux deux autres. En lien avec Dubuffet et André Breton, cet homme originaire d’Hénin-Beaumont (62) est appelé par les voix à pacifier le monde. Dans un premier temps, en 1939, les voix lui commandent 300 tableaux afin de mettre un terme à la guerre. Il termina son 300ème tableau le 7 mai 1945, le lendemain l’armistice fut signé. Coïncidence ? Il offrit d’ailleurs à Eisenhower, Staline et de Gaulle un tableau chacun.
Suite à cela, l’au-delà lui commande alors 45 tableaux merveilleux afin d’assoir la paix dans le monde. Une tâche qui n’arrivera malheureusement pas à terme. En effet, Crépin meurt en 1948, laissant l’avant-dernier tableau de cette série inachevé.

Le style très particulier de l’artiste s’éloigne de celui de Lesage et Simon. On y trouve des couleurs chatoyantes et des architectures habitées par des êtres étranges semblant venir d’un autre monde. En outre, il a développé une technique bien particulière dont il a jalousement gardé le secret – et qui en est toujours un à l’heure actuelle. En effet, très difficile de savoir comment il réalisait des gouttes de couleur aussi parfaites sur ses toiles. Il disait lui-même être capable d’en apposer 1500 par heure. Par ailleurs, Crépin utilisait le quadrillage afin de structurer ses toiles.

Tableau merveilleux n°43, 17 octobre 1948, huile s/ toile, LaM Villeneuve d’Ascq – ©solskinart

Et au-delà de tout ça ?

Avec “Esprit es-tu là”, le musée Maillol laisse également une place de choix à différentes femmes visionnaires initiées aux pratiques spirites. Elise Müller, alias Hélène Smith, Madge Gill ainsi que Séraphine Louis nous en apprennent un peu plus sur la présence et le rôle des femmes dans ce cercle très spécial. Des oeuvres inspirées d’un autre monde, de l’extra-terrestre au merveilleux en passant par le végétal et l’abstrait.

Hélène Smith (alias Élise Müller), Paysage extraterrestre avec bipèdes, entre 1896 et 1900, aquarelle sur papier, coll. privée – ©solskinart

Vous pourrez visionner tranquillement un court-métrage dans une salle dédiée. Des comédiens lisent les textes et interprètent les rôles des différents protagonistes de l’exposition. Ainsi, vous entrez directement dans les pensées et les recherches spirites et ésotériques d’un cercle très particulier de personnages vivant à cette époque. Une manière également de montrer l’étendue de ce milieu et l’importance de leur rayonnement.

Enfin, tout un pan est consacré également aux liens entre ces artistes et la scène artistique contemporaine, en particulier leur lien avec les surréalistes : André Breton, Victor Brauner ou encore Jean Dubuffet. Ces derniers font l’acquisition régulière d’oeuvres spirites.

Pour aller plus loin…

Heureusement, l’exposition extrêmement riche “Esprit es-tu là” du musée Maillol est complétée par un hors-série de Beaux-Arts magazine et par un catalogue d’exposition très complet reprenant tous les détails. De quoi revenir sur de nombreux points à tête reposée après votre visite.

Dates : du 10 juin au 1er novembre 2020
Adresse : 61 rue de Grenelle 75007 Paris
Ouverture : 10h30 à 18h30

Envie de voir une autre exposition ? N’hésitez pas à vous rendre à l’Institut Giacometti ! Voir l’article qui est consacré à l’exposition sur l’Homme qui marche.

Pour plus de détails sur l’exposition, et voir une vidéo de présentation, vous pouvez également consulter la page dédiée sur le site du musée Maillol.

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