“Le triomphe de Bacchus” : une peinture sur voûte monumentale
Dans le contexte de la Contre-Réforme et du Concile de Trente (1563), l’Église modifie ce qu’elle attend des images. En effet, celles-ci ne doivent plus simplement être “belles” mais aussi, d’après le concept de Cicéron : “Instruire, émouvoir et plaire”.
Annibal Carrache est un peintre issu d’une famille d’artistes de Bologne qui souhaitent renouveler la peinture. Il fonde en 1572 l’Académie des Incamminati. Celle-ci prône pour son enseignement un retour à l’Antique, l’inspiration des modèles de la Renaissance et une nouveauté qui vise à prendre un modèle vivant. En 1595, Carrache est appelé à Rome pour décorer le palais Farnèse.
“Le triomphe de Bacchus” est situé in situ sur la voûte de la Galerie Farnèse. Commanditée par le Cardinal Farnèse pour son frère qui se marie. L’oeuvre est de très grand format (20 x 6m), ce qui prouve la virtuosité de l’artiste. Au travers de cet exercice difficile qu’est la peinture sur voûte, voyons comment Carrache renouvelle l’art de peindre au XVIIème siècle.
L’image du “Beau” renouvelée
L’iconographie de l’oeuvre est dédié au frère du Cardinal Farnèse. Ce dernier se mariant, on retrouve la thématique du couple à plusieurs endroits sur la voûte. La fresque centrale représentant le triomphe de Bacchus est un sujet profane issu des Métaphores d’Ovide. On retrouve Dionysos sur son char et Ariane sur la route des Indes. Comme le préconise Bellori, Carrache aiguille le spectateur sur la signification de son oeuvre. La lecture est claire. Par exemple, l’éléphant en haut à gauche, derrière le char, symbolise les Indes.
Pour Bellori, une lecture intelligente des figures est nécessaire car elle permet à celle-ci de signifier quelque-chose et au théoricien de suivre le travail du peintre. Agucchi définit la doctrine classique avant lui basée sur plusieurs critères qui en font de Carrache le digne représentant. L’artiste digne de ce nom sélectionne le meilleur de la nature, Raphaël en est le modèle.
Les sources d’inspiration de Carrache pour “Le triomphe de Bacchus”
Annibal Carrache s’inspire de l’Antiquité pour le sujet profane utilisé, lequel est inspiré d’un sarcophage antique. On y retrouve l’Ut Pictura Poesis au travers des vers chantés lorsque les jeunes époux se rendent au lit nuptial. Les sens son sollicités, comme le préconisent les réformes du Concile de Trente. Thème antique du Dieu et son cortège mais aussi inspiration des maîtres de la Renaissance comme Michel-Ange. L’image de Bacchus ainsi que l’utilisation de putti et de nus athlétique son directement inspirés de la voûte de la Chapelle Sixtine (1508-1512).
Il s’inspire également de Raphaël pour la clarté du dessin, l’individualisation des personnages et des émotions. À Titien, il emprunte son idée des nus féminins qui bordent la composition, comme on peut le voir dans la Bacchanale des Andriens (1524). Étant dans la Galerie Farnèse, Carrache a pu également s’inspirer des collections des Farnèse ainsi que s’exercer sur des modèles vivants pour saisir l’instant. D’après le texte de Longin, l’oeuvre doit surprendre, étonner, d’où ce besoin de saisir un moment précis.
Une composition très structurée
Les artistes après la Contre-Réforme, étant déjà des virtuoses, s’axent surtout sur la réception de leur oeuvre. L’exercice de la peinture sur voûte est très difficile compte-tenu qu’il ne s’agit pas d’une surface plane. Afin de donner du relief et de créer l’illusion, Carrache compartimente la voûte grâce à une structure en trompe l’oeil qui imite des cadres de tableaux. Ces quadri riportati associés à la quadrattura créent une impression de profondeur. Pour le “Triomphe de Bacchus”, Carrache choisit un cadre qui imite le marbre antique. La paroxysme de l’illusion est atteint par l’utilisation de la vue frontale.
Pour sa composition il s’inspire entre autre de Raphaël : une frise de personnages bien délimités avec un vide central créant une symétrie et un équilibre dans la composition. Il emprunte également à Michel-Ange ses putti. Ces petits anges rythment la partie supérieure tandis que les ignudi et les atlantes supportent le cadre feint de la fresque.
Enfin, en travaillant sur la réception de l’oeuvre, les artistes cherchent à faire entrer le spectateur dans la toile. Carrache pour son “Triomphe de Bacchus”, utilise les principes d’Alberti en positionnant deux personnages en bord de fresque. L’un est tourné vers l’intérieur et l’autre à l’extérieur afin de nous inviter à entrer dans la scène, ce qu’on appelle des personnages adminitor albertiens.
Conclusion
Le Triomphe de Bacchus est une oeuvre militante de l’Académie de Carrache qui prône le retour à l’Antique, l’influence des grands maîtres de la Renaissance tels que Michel-Ange et Raphaël ainsi que le modèle vivant. Il quitte le maniérisme dans un souci de clarté, de lisibilité propres à la Contre-Réforme. Adhérant à la bonne manière, “classique”, définie via différents critères par des théoriciens tel que Bellori ou selon les préceptes de Cicéron, qui se résument par : “Plaire, instruire, émouvoir”. Annibal Carrache répond également à l’invitation d’Aristote visant à solliciter les sens et à celle de Longin d’étonner. L’artiste, malgré l’exercice difficile imposé, produit une oeuvre manifeste de son époque et de l’humanisme des Farnèse. Le Triomphe de Bacchus de Carrache devint un modèle pour les générations futures.
Liens utiles
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