L’art de l’enluminure dans les manuscrits du Moyen-Âge au XIVe siècle connait de grandes innovations stylistiques. D’une part, grâce à un contexte économique, politique et religieux favorable. D’autre part, par l’apparition d’artistes porteurs de nouveautés comme Maître Honoré, Pucelle & Jean le Noir. De sorte que la technique, la perspective et les coloris connurent une évolution déterminante.
L’hégémonie parisienne et ses principaux ateliers d’enluminure jusque 1320
L’art de l’enluminure au début du XIVe siècle : héritage direct du “style courtois”
Les artistes en activité au tout début du XIVe siècle sont directement influencés par l’art de l’enluminure du XIIIe siècle. Comme l’illustre la fourchette chronologique allant de 1260 à 1320 choisie par Alison Stones pour son ouvrage sur les manuscrits gothiques. Une période dont la forme évoquerait le “style courtois“. Le XIIIe siècle vit l’élaboration de l’enluminure gothique, laquelle connut un rayonnement international sous le règne de Louis IX.
Contextualisation
Les codes alors établis faisaient autorité à Paris et dans de nombreux centres artistiques en périphérie, Paris donnait le ton. Il est à noter que ce médium fit face à de profondes modifications depuis la fin du XIIe siècle. Grâce à la montée en puissance des universités et à L’affaiblissement des centres monastiques les élites laïques devinrent les plus importants fabricants de manuscrits en ville. Cette évolution provoqua alors la prolifération d’ateliers laïcs pour concevoir et décorer les ouvrages destinés aux étudiants et aux professeurs, ce qui permis à la capitale d’asseoir sa réputation au cours du XIVe siècle. L’hégémonie des ateliers parisiens était établie. Afin de répondre à l’avalanche de commandes ces centres de production ont rationnalisé la fabrication des ouvrages, laissant apparaître une « touche parisienne ».
La mise en page du manuscrit médiéval
L’art de l’enluminure et la structure de la page du manuscrit au XIVe siècle se décline en trois éléments principaux, à savoir :
– l’illustration,
– l’initiale ornée
– l’encadrement de la page ou bordure
Les cadres étaient généralement composés de feuilles de vignes et de baguettes qui parcouraient les marges de plus en plus loin sur la page. Elles étaient souvent accompagnées ou servaient de support à des drôleries. Les drôleries sont des illustrations que l’on retrouve en marge des pages, elles peuvent être humoristiques, simples ou très élaborées, avoir un lien ou non avec le contenu qu’elles accompagnent. C’est un élément qui a lui seul suscite aujourd’hui encore énormément de recherches et de publications par sa richesse formelle et symbolique. Dans le H246, seule la page frontispice est dotée de ce genre de décoration (voir ci-dessus).
Les principaux ateliers de manuscrits parisiens
Durant le premier quart du XIVe siècle, l’art de l’enluminure parisien se situe dans le prolongement de celui ayant régné depuis la seconde moitié du siècle précédent. Plusieurs ateliers se partagent alors les commandes les plus prestigieuses et les innovations les plus originales.
Le style novateur de Maître Honoré
D’une part, Maître Honoré, considéré comme l’artiste qui a apporté le plus de nouveautés. Il innova, tant sur le plan du style et du coloris. Lui et son atelier offrirent des dessins élégants aux lignes fluides, un coloris éclairci et des fonds dorés diaprés.
De sorte qu’il marque une grande différence avec le style de l’époque du Psautier de saint Louis, où les couleurs se limitaient à la juxtaposition de bleu et de rouge et à des traits noirs cernant des personnages reposant sur un fond d’or bruni. Ainsi, Honoré propose des teintes plus claires et acidulées. Celles-ci marquent profondément l’art parisien du XIVe siècle.
Les autres ateliers parisiens notables
D’autre part, un atelier dont le style eut plusieurs émules est celui des artistes ayant décoré le manuscrit de la Vie de saint Denis. Cet ouvrage a été offert en 1317 par l’abbé de Saint- Denis, Gilles de Pontoise, au roi Philippe V le Long. Les figures s’éloignent de la tendance affectée et courtoise du canon parisien de l’époque. Les personnages sont solidement bâtis, rappelant la statuaire.
À noter que les artistes ont fait preuve d’un grand sens de l’observation dans la représentation concernant les corps de métier, la vie quotidienne parisienne et son architecture.
Enfin, un autre style plus « conciliant » est également à l’œuvre à la même époque. Il conjugue les caractéristiques des deux ateliers précédents (voir ci-dessous l’exemple du Décret de Gratien). Néanmoins, l’enluminure de cette période n’en reste pas moins « plate » en comparaison des innovations sur la profondeur survenant à partir des années 1320.
Pucelle et l’influence du Trecento bouleversent les codes de l’art de l’enluminure du XIVe siècle
Deux artistes italiens influencent considérablement l’art de l’enluminure au 14e siècle durant le Trecento. Giotto à Florence et Duccio à Sienne apportent des transformations capitales dans la conception d’un espace en trois dimensions, dans l’évocation des émotions et dans le rendu des sentiments. En effet, les notions de creusement de l’espace au moyen de la perspective empirique n’en étaient alors qu’à leurs balbutiements. De sorte que la profondeur était auparavant évoquée grâce à d’autres moyens, comme la superposition des plans. L’artiste clef qui apporta ces innovations venues d’Italie est Pucelle.
Pucelle, l’artiste clef dans l’art de l’enluminure au XIVe siècle
Si la carrière de cet homme semble avoir été très brève, il n’en marqua pas moins durablement l’histoire de l’enluminure à partir de 1320. Grâce au modèle de ses contemporains d’outremonts et à son talent, Pucelle enrichit la décoration des manuscrits du principe de la représentation d’un espace tridimensionnel sur un espace bidimensionnel.
De nombreuses œuvres lui sont attribuées. La plus remarquable, pour plusieurs raisons, s’incarne dans les Heures de Jeanne d’Évreux (ci-dessus). Sa décoration est entièrement de la main de Pucelle et est réalisée, pour certaines enluminures, selon le principe de la «boite spatiale» où les silhouettes en grisaille s’inscrivent dans des espaces architecturaux en trois dimensions. Pucelle y utilise plus précisément le procédé de la demi-grisaille pour décrire et modeler ses personnages. L’autre procédé que Pucelle a intégré et diffusé auprès de ses contemporains est la volonté de susciter davantage d’émotions dans la représentation en dotant ses personnages de visages expressifs.
Les lecteurs pouvaient ainsi entrer en empathie avec le sujet figuré. Cet artiste apporte donc des innovations capitales à l’art de l’enluminure de son temps, tant du point de vue de la profondeur spatiale qu’émotionnelle.
Le continuateur : Jean le Noir
Jean le Noir, considéré comme son « continuateur », reprit le flambeau et poursuivit l’œuvre de son maître tout en côtoyant les plus hautes sphères. Toutefois, sa carrière a été extrêmement longue contrairement à Pucelle. Notons qu’il est probablement issu du même atelier. Sans doute lui aura-t-il succédé à sa mort en 1334.
Quelques mots sur les ateliers périphériques
Le Psautier de saint Louis ou l’invention de la Bible portative sont d’évidents marqueurs du savoir-faire parisien. Toutefois, d’autres ateliers provinciaux ont également fait preuve d’originalité en périphérie du bouillonnement créatif de la capitale. Même si les lieux cités dans les différentes études varient sensiblement d’un auteur à l’autre, tous s’accordent sur les centres suivants.
Les ateliers de l’art de l’enluminure au XIVe siècle
– D’après Charles Sterling et Jean Porcher
Charles Sterling cite brièvement les noms d’Avignon, d’Amiens et d’Arras, lesquelles villes avaient connaissance des œuvres émanant des ateliers parisiens. Notons que Jean Porcher souligne également cette totale domination de la capitale sur les ateliers septentrionaux et méridionaux. Il lui compare la créativité italienne au travers de la ville papale d’Avignon, l’influence de l’Italie se ressentant jusqu’au Languedoc. Toutefois, il cite trois autres centres dans l’art de l’enluminure au 14e siècle ayant des talents particuliers.
– Tout d’abord, la région Picardie-Artois produit des manuscrits aux traits linéaires, aux figures schématisées et aux nombreux cadres qui arborent de longues antennes habitées de « drôleries », élément caractéristique provenant des régions septentrionales.
– Ensuite, Metz se distingue par des créations au style plus « rude » mais « vigoureux ».
– Enfin, Reims met en scène son architecture endémique, détail qui lui confère son originalité.
– L’étude de François Avril
François Avril, reprenant les éléments cités précédemment, élargit et détaille ces zones créatives. Lorsqu’il évoque « les grands fiefs au Nord du Royaume », il mentionne alors Amiens, Arras, Cambrai, Saint-Omer, Thérouanne, Saint-Quentin et Soissons. Le Languedoc regroupe Toulouse. Elle est spécialisée depuis la fin du XIIIe siècle dans la conception de manuscrits de droit, comme Bologne et Avignon. Metz, ville d’Empire, est de nouveau citée pour son « interprétation savoureuse des modèles français ».
Ces études s’accordent sur trois grands foyers artistiques dont la production originale et qualitative s’est développée en marge de l’hégémonie parisienne, depuis la fin du règne de saint Louis et durant le XIVe siècle. Donc on distingue plusieurs petits centres en région septentrionale, à l’est Metz et Avignon en région méridionale.
Pour aller plus loin sur l’art de l’enluminure au XIVe siècle…
– M. HENRY, La miniature du XIIIe au XIVe siècle, Paris-Bruxelles, G. van Oest, 1923.
– A. STONES, Gothic manuscripts, 1260-1320, Coll. « A survey of manuscripts illuminated in France », Londres et Turnhout, Harvey Miller Publishers. 2014, 2 vol.
– J. PORCHER, L’enluminure française, Arts et métiers graphiques, Paris 1959.
– F. AVRIL, L’enluminure à la cour de France au XIVe siècle, Paris, Chêne, 1978.
– Ch. DE HAMEL, Une histoire des Manuscrits enluminé, Paris, Phaidon, 2001.
– F. AVRIL, « Manuscrits », in Les fastes du Gothique, le siècle de Charles V, cat. exp. Galeries Nationales du Grand Palais, 9 octobre 1981 – 1er février 1982, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1981, pp. 276-282..
– Ch. STERLING, La peinture médiévale à Paris : 1300 – 1500, Paris, Bibliothèque des Arts, 1987-1990 (2 vol.).
– Philippe le Bel et ses fils, 1285-1328, cat. exp., Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 17 mars – 29 juin 1998, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1998.
– R. RECHT (dir.), Moyen Âge, chrétienté et Islam, Flammarion, Paris, 1996.
Catalogue de la bibliothèque de l’IRHT (Institut de Recherche de d’Histoire des Textes)
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